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Covid-19 et hydroxychloroquine : les problèmes de la méthode Raoult.

Depuis plusieurs semaines, le très médiatique Pr Didier Raoult, qui a beaucoup fait parler de lui, veut à tout prix pousser l'utilisation généralisée de la chloroquine sur les patients atteints du covid-19. 
On va parler un peu de la méthode qu'il a utilisée pour tenter de démontrer l'efficacité de cette molécule, et pourquoi elle pose de nombreux problèmes.




La chaine Youtube La Tronche en Biais, que je recommande vivement à tout le monde, vient de sortir une vidéo expliquant et détaillant la "méthode" Raoult, et pourquoi elle apporte beaucoup plus de problèmes que de solutions (la vidéo est à la fin de cet article).

Étant donné qu'il peut être difficile de suivre ses explications parfois très verbeuses et chiffrées, j'ai décidé d'en faire un petit article.

D'abord, quelques mots sur la chloroquine.
Ou plutôt l'hydroxychloroquine (HCQ), une molécule dérivée de la chloroquine, qui est très bien connue, et qui est utilisée depuis plusieurs décennies contre le paludisme, mais aussi contre les maladies rhumatismales chroniques.
En effet, l'HCQ possède des propriétés dites immuno-modulatrices.
En gros, ça veut dire qu'elle modifie le comportement du système immunitaire.

Or, les formes les plus sévères du covid-19 sont liées à une hyperactivité du système immunitaire.
Donc sur le papier, l'HCQ, en modulant l'activité du système immunitaire, devrait avoir un effet positif.

Cependant, dans le cas présent on est face à plusieurs problématiques : 


  • l'HCQ s'est toujours avérée très efficace in vitro (en labo, sur des plaquettes de verre pour microscope), contre tout un tas de virus, tout autant que totalement inefficace in vivo (injectée à des humains), contre ces mêmes virus
  • l'HCQ avait aggravé les choses quand on avait tenté de l'utiliser in vivo contre le chikungunya
  • la pathogénie du covid-19 (son comportement face à des tentatives de traitement) est totalement inconnue, et l'administration d'un quelconque remède pourrait s'avérer plus dangereuse qu'autre chose.

Ceci étant, parlons maintenant des 2 études menées par le Pr Raoult.

ÉTUDE N° 1 : 
42 patients au total, répartis en 2 groupes : 
  • 26 ont reçu le traitement (groupe test) 
  • 16 n'ont pas reçu le traitement (groupe contrôle).

L'objectif premier de cette étude : savoir si le virus était encore détectable dans l'organisme des patients traités, à J6 (6 jours après le début du traitement).


Résultat de l'étude : 
  • 6 patients du groupe test (patients traités) ont été exclus des résultats de l'étude : 
    • 1 arrêt de traitement pour cause d'effets secondaires (nausées)
    • 1 sortie prématurée de l'hôpital
    • 4 transferts en soins intensifs (dont 1 décès)
  • groupe test : à J6, 14 patients (sur 20, donc) avaient une charge virale négative (cf plus bas)
    • 6 ont été traités par bithérapie : HCQ + Azithromycine (AZ) ==> les 6 avaient une charge virale négative à J6
    • 14 ont été traités à l'HCQ seule ==> 8 sur 14 avaient une charge virale négative à J6
  • groupe contrôle : à J6, 2 patients (sur 16) avaient une charge virale négative

==> Conclusion des auteurs : il faut traiter tous les patients avec la bithérapie HCQ+AZ, c'est efficace.







Mesure de la charge virale

La charge virale a ici été mesurée par une opération courante, appelée PCR (Polymerase Chain Reaction). 

Dans un échantillon contenant des cellules censées être infectées (si infection il y a), on attache une sonde fluorescente à l'ARN pour vérifier la présence du virus dans l'ARN. Puis on place l'échantillon dans une machine, qui va amplifier l'ARN jusqu'à ce que la fluorescence devienne détectable. 

Plus la machine a besoin de faire de cycles pour détecter la fluorescence, plus la présence du virus est faible. 

Pour cette étude, Raoult et ses potes ont décide que 35 cycles seraient la valeur seuil pour déterminer que la charge virale est négative.

Pour moi non plus ça veut dire que dalle, mais ce qu'il y a à retenir, c'est que cette valeur a été décidée arbitrairement, et que même s'il faut 94 cycles pour détecter la fluorescence, bah...ça veut dire que le virus est toujours là. En très faible concentration, certes, mais toujours là quand même...




ÉTUDE N° 2 :
80 patients traités à la bithérapie, pas de groupe contrôle

3 objectifs primaires ont été retenus pour cette seconde étude : 
  1. le besoin d'assistance respiratoire ou de transfert en soins intensifs à J3
  2. la contagiosité du patient, déterminée par une PCR négative
  3. la durée d'hospitalisation

Résultat de l'étude : 
  • Niveau clinique : 
    • 65 patients ont quitté l'hôpital
    • 12 patients ont eu besoin d'une assistance respiratoire
    • 3 patients ont été transférés en soins intensifs, 1 est décédé

  • Niveau virologique : 
    • à J7, 66 patients avaient une PCR négative
    • à J8, 8 patients de plus (pour un total de 74) avaient une PCR négative
    • à J10, 77 patients au total avaient une PCR négative, et 2 positives

==> Conclusion des auteurs : nan mais là les mecs, c'est clair non ? C'est bon, ça marche bordel, on est les meilleurs !!



ANALYSE DES ÉTUDES : CE QUI NE VA PAS AU NIVEAU DE LA MÉTHODE

1. Le design.

Qu'est-ce que le design, dans une étude clinique ?

C'est le fait de correctement appliquer la méthode scientifique, pour retirer au maximum l'influence du hasard et des divers facteurs environnementaux.

Dans le cas d'une étude sur le traitement d'une maladie, il s'agit, pour commencer de créer deux groupes strictement identiques : tranche d'âge, condition physique générale, facteurs de comorbidité (maladies chroniques, etc.), historique médicale généalogique, mode de vie, etc.


  • Le premier groupe recevra le traitement : groupe test.
  • Le second groupe recevra un placebo : groupe contrôle.
  • PERSONNE, parmi tous les gens impliqués dans l'étude (patient, médecin, auteur, personnel manipulant les traitements, etc.) ne sait quel patient est dans quel groupe, ni quel patient reçoit le traitement ou le placebo.
L'utilisation d'un groupe contrôle est donc absolument indispensable, en particulier dans le cas d'une maladie dont l'immense majorité des patients, rappelons-le :

GUÉRIT SPONTANÉMENT !!!!

Bah oui...


Ce procédé s'appelle la randomisation (patients divisés dans les deux groupes de manière aléatoire) et le double aveugle (personne ne sait rien tant que l'étude n'est pas terminée), et il n'a absolument pas été appliqué dans la première étude.
Par exemple, qui nous dit que le groupe test, qui a reçu le traitement, n'était pas composé exclusivement de patients jeunes et en forme, quand le groupe contrôle, lui, était composé de personnes âgées possédant des facteurs de comorbidité...?

La deuxième étude, c'est pas la peine d'en parler, y a même pas de groupe contrôle, alors comme ça au moins...
On peut juste noter que sur les 80 patients, qui ont TOUS été traités, 1 est décédé. Ce qui donne un taux de létalité de 1.25%. 
Bien supérieur au taux de létalité moyen observé pour les moins de 60 ans.
Deux conclusions possibles (et qui ne s'excluent pas l'une l'autre) : soit y avait que des vieux parmi ces 80 patients, soit...bah soit le traitement aggrave les choses ! :')


2. Les objectifs.

Le choix des objectifs primaires est également très discutable.
Par exemple, choisir comme objectif primaire le fait que la PCR soit négative à un moment donné, n'a aucun intérêt.

En effet, un patient peut être négatif à J5, puis positif à J6, puis à nouveau négatif à J9.
C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avec un patient traité à la bithérapie : négatif à J6, mais redevenu positif à J8.

(Vous commencez à le sentir, là, que le gars Raoult et sa team sont des vrais guignols, ou pas encore...?)

Par ailleurs, une PCR négative n'a jamais été suffisante pour déclarer un patient guéri.
Par exemple, le patient décédé dans la première étude...avait une PCR négative la veille de son décès !

(Et là ? Toujours pas ? Ok, on continue !)

En plus, une charge virale est une valeur quantitative, chiffrée.

Les auteurs des 2 études l'ont transformée en valeur qualitative (oui/non), ce qui fait perdre des données de recherche précieuses et importantes.
Et faudrait voir aussi à pas oublier que la charge virale est différente sur chaque personne, en fonction de nombreux facteurs variables (d'où la nécessité absolue de la randomisation !). Par conséquent, considérer le degré d'infection et/ou de contagiosité d'un patient à partir d'un PCR binaire (oui/non), c'est juste du grand n'importe quoi. 

Le plus drôle, c'est qu'à la base, pour l'étude, ils avaient prévu d'étudier le pourcentage de patients en PCR négatives à J1, J4, J7 et J14. Maiiiiis en cours de route, et sans la moindre explication, ils ont changé de cap. 

Vous voulez un exemple concret ?
Mettons que je mette au point un médoc contre la fièvre. Au début de l'étude pour tester son efficacité, je définis la fièvre comme étant une température corporelle supérieure à 38°.
Manque de bol, mon médoc fait baisser la fièvre, mais pas au-delà de 38.2°.
Qu'à cela ne tienne ! Je change le critère initial, et je définis que finalement, la fièvre, c'est au-delà de 38.5° !
Et hop, magie : mon médoc est soudain efficace !
C'est exactement ce qu'on fait les auteurs de cette étude, en modifiant les critères définis initialement.
Sûrement parce qu'avec ces critères, la bithérapie ne démontrait aucune efficacité...

Dans le même registre, la première étude avait aussi pour but principal de déterminer si la mortalité était inférieure dans le groupe des patients traités.
Pas de bol : y a eu qu'un seul décès, et c'était justement dans ce groupe ! 
Du coup ils se sont dit "ouais, non, on laisse tomber ce critère, hein ?".
Pratique.

La vérité : "100% des décès ont eu lieu chez les patients traités". 
C'est honnête, mais quand même vachement moins vendeur, faut avouer...


3. L'analyse statistique.

Sans parler de la méthodologie qui est complètement foireuse (malhonnête ?), les données et leur analyse, c'est pas mieux.

D'abord, parlons des 6 patients exclus de la première étude.
Ils étaient tous dans le groupe traité. Ils représentent quand même 23.1% du groupe, ce qui est énorme. Forcément, tu décides de pas compter les patients dont l'état s'est aggravé, et tout de suite, les résultats de ton étude sont vachement plus probants. 

Par ailleurs, la PCR de plusieurs patients n'a pas été testée à J6, comme ça aurait dû être le cas.
Alors ils ont fait quoi, les auteurs ?

Bah c'est simple : les patients du groupe contrôle (non-traités) qui n'ont pas été testés, ont été déclarés comme toujours malades ! Ils étaient 6, quand même. 6 sur 16, je rappelle.
Et le patient du groupe test (traité), bah lui il a été déclaré guéri ! 
C'est-y pas magique, la science ?

De plus, les auteurs ont comparé l'efficacité d'une bithérapie par rapport à pas de thérapie du tout.
Ce qui est débile : pour vérifier l'intérêt de rajouter une molécule, il faut comparer l'efficacité de la bithérapie avec celle de la monothérapie. 

Des statisticiens ont analysé les données de la première étude, d'abord en excluant les 7 patients non-testés à J6, et en ré-introduisant les 6 patients exclus de l'étude. 
Résultat : efficacité zéro !
Ils ont aussi refait l'analyse en comparant la bithérapie HCQ+AZ à la monothérapie HCQ.
Résultat : aucune différence ! 

Quant à la deuxième étude, elle est lolesque aussi.
L'échantillon testé, donc les 80 patients, étaient atteints d'une forme légère à modérée de la maladie. 92% de cet échantillon (traité, je le rappelle, hein) a guéri.

Or, dans la réalité, 90% des personnes atteintes de ces formes légères à modérées du virus guérissent toutes seules, sans traitement, avec une PCR définitivement négative à J10.

(Et là ? ET LÀ PUTAIN ?! C'est des guignols ou c'est pas des guignols, Raoult et ses zigs ?!)



CONCLUSION


L'argument le plus souvent avancé pour défendre ces études, c'est celui de l'urgence : le virus est super contagieux, il tue des gens, blablabla.
Ouaip.

Sauf que les problèmes ci-dessus auraient pu être corrigés, sans perte de temps aucune.
Pire : ces études n'étant pas significatives, elles sont de facto inutiles, et ont par conséquent représenté une perte de temps, d'argent, de moyens, de ressources et de main-d'oeuvre. 
Ce qui est quand même assez contradictoire avec l'argument de l'urgence, non ? 

Par ailleurs, le marketing (parce qu'on peut parler de ça, clairement) autour de la chloroquine a provoqué des pénuries pour les gens qui en ont réellement besoin, et plusieurs empoisonnements ayant mené à des décès. 

Et pour finir, l'absence totale de rigueur scientifique de ces études, a mené l'immense majorité de la communauté scientifique à rejeter la chloroquine, alors que si ça se trouve (et les études en cours, correctement menées, nous en apprendront plus à ce sujet), elle est efficace !
Ces études ont donc été totalement contre-productives, dangereuses, et une perte de temps et d'argent. 

Merci Pr Raoult !


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